J’étais à la veille de mon départ pour la
« grande île », à la radio de la société d’État j’entends Denise
Bombardier dire qu’il est toujours regrettable de « bronzer idiot »
et qu’elle ne manque jamais une occasion d’enrichir un séjour au soleil par une
activité culturelle de bon niveau. Il n’en fallait pas moins pour
« cultiver » mon sentiment de culpabilité! En effet je venais
d’acheter un forfait « tout-compris » dans un complexe hôtelier de
Cayo Santa-Maria à quelques centaines de kilomètres de la Havane et à 90
minutes de la première ville d’importance, Santa Clara. Les stations balnéaires
cubaines ne sont pas les meilleurs endroits au monde pour s’imprégner de
culture « bon chic bon genre », car à part les cours de salsa et de
merengue elles ont peu à offrir!
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Salsa et megengue à chaque soir...oubliez les musées et les bibliothèques !
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Mais un bibliothécaire retraité a plus d’un
tour dans son sac, il sait très bien que la culture peut devenir portable. Car
à défaut d’un « buffet culturel » disponible sur place on peut très
bien apporter son « lunch culturel » sous forme de livres et de
revues! Et avec une liseuse sous la main, le lunch peut facilement devenir
gargantuesque sans danger de faire sauter la limite de 20kg de bagages imposer
par les compagnies aériennes afin de mieux nous empiler dans leurs cigares
volants. La crainte de bronzer idiot a bientôt fait place à l’angoisse du
choix : quelle nourriture intellectuelle apporter sur ce cayo perdu au
beau milieu d’une mer turquoise? Pas question ici de verser dans la facilité et
de troquer le bronzage idiot pour la lecture idiote... Je jette d’abord mon
dévolu sur la biographie de Denis Diderot (Diderot, ou le bonheur de penser,
Fayard 2012) signé par Jacques Attali, du coup lire sur un acteur important
du Siècle des lumières, sous le soleil, fait beaucoup de sens et avec un
biographe aussi éclairé que Jacques Attali je risque à coup sûr l’insolation
cérébrale! Mais pourquoi Diderot plutôt que Churchill ou Mandela? Diderot est
d’abord un encyclopédiste et un esprit libre comme je les aime et pour un
bibliothécaire il est comme un « saint patron », car il aimait
apprendre et aider les autres à comprendre le monde dans lequel ils évoluaient.
N’est-ce pas au fond la finalité du métier de bibliothécaire? Je reviendrai
dans une autre chronique sur Diderot, il y a trop à dire et à penser sur ce
monsieur, incluant sur sa vie sentimentale que je ne connaissais pas!
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Le levée du soleil sur Cayo Santa Maria... oublions la neige et le froid un moment ! |
Pour compléter mon « lunch
culturel », j’ai également ajouté dans mon panier numérique quelques
revues (2 numéros de sciences et vie et le dernier National Geographic) et le
guide « Comprendre Cuba » de Hector Lemieux que j’ai eu le temps de
lire dans l’avion avant de mettre les pieds sur l’île des frères Castro. Un peu
déprimant de comprendre Cuba finalement, on se demande si sa contribution à
l’économie cubaine n’ira pas enrichir les membres de la
« nomenklatura » (lire les privilégiés du régime) plutôt que de
profiter à l’ensemble du peuple cubain. En parcourant la distance entre l’aéroport
de Santa Clara et Cayo Santa Maria je pouvais constater, une nouvelle fois, la
pauvreté des gens. Mon dernier séjour dans la grande île remontait à 10 ans et
c’est comme si le temps s’était arrêté dans l’intervalle. Difficile de
rejoindre son tout-compris quatre étoiles sans avoir une petite pensée pour
ceux dont le quotidien ne brille d’aucune étoile. J’ose espérer que les
pourboires que je laisserai au personnel de l’hôtel serviront au moins à
améliorer un peu la situation de certains d’entre eux et de leur famille.
Malgré tout, les Cubains sont des gens souriants qui ont appris à composer avec
les limites que leur impose la situation politique et économique de leur pays
et bien sûr de ce ridicule embargo américain qui a prouvé son inefficacité à
faire tomber le régime
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Contraste saisissant avec le luxe des complexes hôtelier de Cayo Santa Maria , c'est dans ce genre d'immeuble que réside leur personnel ! |
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Le complexe du "Melia las dunas" au milieu de la végétation tropicale |
Je ne parle pas beaucoup espagnol et encore
moins l’espagnol de Cuba qui comme le français québécois a ses propres accents
et donne un sens différent à plusieurs mots et expressions. C’est donc le plus
souvent en anglais et parfois en français que j’arrive à communiquer brièvement
avec les quelques Cubains que je côtoie. Il y a Carmen la femme de chambre et
il y a aussi Vladimir le serveur, comme Vladimir... Poutine. En fait, les
prénoms russes ne sont pas si rares à Cuba surtout pour les natifs de la
période où le grand frère soviétique était bien présent sur la grande île, un
autre reliquat d’un passé pas si lointain. Vladimir le serveur n’a pas plus de
trente ans, il ne garde sans doute qu’un vague souvenir de cette période que
ses parents, eux, ont apprécié au point de donner des prénoms russes à leurs
enfants. L’Union Soviétique n’existe plus et les Russes se font maintenant beaucoup
plus rares sur le territoire cubain, depuis les Vénézuéliens et les Chinois ont
pris le relais. L’autocar qui conduit les touristes de l’aéroport à l’hôtel est
chinois comme les petites voiturettes électriques qui arpentent le réseau de
ruelles du tout-compris. Surprise!
même les bornes-fontaines du Cayo Santa-Maria sont chinoises, les inscriptions en mandarin en trahissent
l’origine! On risque donc de voir apparaître des enfants au prénom à consonance
chinoise d’ici peu!
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Les vieilles américaines côtoient maintenant les chinoises et les coréennes |
Malgré son prénom, Vladimir ne savait pas
qu’il y avait des jeux olympiques d’hiver à Sotchi, il faut préciser ici que la
télévision nationale cubaine n’a pas retransmis les jeux. On peut cependant comprendre
le manque d’intérêt pour des jeux d’hiver sur une île où il fait +30 o
à l’année! On comprend également le manque de fluidité de l’information dans un
pays où même l’accès à une simple ligne téléphonique standard est un exercice
compliqué et contrôlé par le Comité de défense de la Révolution. Ici, Internet
haute vitesse est une pure abstraction et ceux qui y ont accès ont l’assurance
que les contenus qu’ils consultent ou qu’ils échangent sont soumis à une censure
de l’État. Inutile de rechercher un signal WiFi sur le site de l’hôtel, le seul
poste d’accès Internet du complexe est situé près de la réception et vous avez
le temps de vous commander un café entre chacune de vos requêtes! Si le grand
Diderot revenait à la vie, il serait sans doute étonné de constater que la
censure dont il fut victime au XVIIIe siècle, demeure encore aujourd’hui l’arme
privilégiée de ceux qui détiennent le pouvoir et qui finissent toujours par en
abuser.
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L'une des piscines du complexe... avant le réveil des bronzés et de ceux qui aspirent à le devenir ! |
C’est l’heure de l’aquagym dans la piscine
du « Melia Las Dunas », pour un moment je reviens au bronzage idiot
le temps de me déhancher dans l’eau au son de « gangman style »,
heureusement en dehors de ma conjointe je ne connais personne ici! Diderot
m’attendra sagement sur la chaise longue le temps de compléter quelques figures
pas très olympiques, mais oh combien bénéfique pour mon pauvre corps si blafard
en comparaison de celui de notre instructeur cubain métissé aux abdominaux
découpés au couteau... Ouf on va couper dans la « cerveza » et dans
les desserts ce soir... demain sera un autre jour!
à suivre...