Face à la mobilisation citoyenne à Cacouna, deux motocyclistes
ont décidé de « rincer » leur moteur pour étouffer la voix de la
contestation... leur argumentaire : protester contre le fait que les
manifestants étaient en majorité des gens de l’extérieur de la région pour qui
la protection de quelques mammifères marins est plus importante que la création
d’emploi et la prospérité économique. Pendant ce temps dans la Capitale, le
premier ministre Couillard rappelait aux distingués membres de l’Assemblée nationale
que le Québec est encore une province du Canada et qu’il doit contribuer à la
richesse collective en facilitant la vente du pétrole albertain à l’étranger.
Pas très loin de là, à l’Université Laval, David Suziki recevait un doctorat
honoris causa pour l’ensemble de son œuvre et son engagement envers la cause
environnementale, Le Soleil qui a couvert l’événement publiait dans la même
page que l’article une publicité de TransCanada pipelines... Sans doute une
forme d’humour noir!
Nous vivons vraiment dans un monde schizophrène, ou notre
amour de la nature est confronté à notre désir de richesse et de confort, ce
qui nous amène invariablement à faire les pires compromis. Nous voulons de
l’eau pure, de l’air pur, un climat tempéré, des légumes sans pesticides, mais
en conservant notre notre grosse maison énergivore, nos voitures-bateaux-motos-4
roues-tondeuses-souffleuses à essence, nos millions de kilomètres de routes
asphaltées, nos kiwis de Nouvelle-Zélande, nos ananas du Honduras, nos tomates
du Mexique et nos millions de bidules made in china... Cherchez l’erreur :
la plupart des manifestants de Cacouna, incluant les deux motocyclistes et
l’auteur de ces lignes, font bel et bien partie de la même grande famille des
humains égocentriques. Tirez la pierre aux deux seuls motocyclistes serait
vraiment trop facile, car dans le groupe des défenseurs des bélugas il y a sans
doute autant de consommateurs de produits pétroliers qui sont venus soulager
leur mauvaise conscience en participant à cette « petite marche » par
un beau dimanche, après l’autocueillette des pommes! Mais aucun d’entre eux
n’est sans doute disposé à payer le véritable prix d’un monde sans énergie
fossile qui n’émet que très peu de gaz à effet de serre (GES). Dans les faits,
l’enjeu de Cacouna dissimule des enjeux planétaires.
Objectivement, la création d’un terminal pétrolier à Cacouna,
comme l’exploitation des gaz de schistes dans la vallée du Saint-Laurent, constitue
un risque environnemental totalement inacceptable. Dans les faits, il n’y a
aucun écosystème terrestre qui soit vraiment compatible avec l’extraction et
l’utilisation massive du pétrole ou de tout autre « produit » qui perturbe leur équilibre. La nature a mis des millions d’années à établir de fragiles
équilibres qui n’ont pas la capacité de s’ajuster en temps réel aux assauts répétés
que le lui fait subir genre humain, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous
assistons présentement à l’une des pires extinctions d’espèces vivantes depuis celle
du Crétacé. Malheureusement, les êtres humains font preuve de myopie face à la
nature, ils ne voient que l’instant présent et le fond de leur cour arrière! Alors,
comment leur faire prendre conscience que le béluga, la morue, l’étoile de mer
ou l’oursin sont d’authentiques miracles dont l’apparition repose sur une
chaîne d’événements rares et uniques dans tout le système solaire et même
au-delà. Si les constructeurs de cathédrale du Moyen âge ne devaient guère
s’inquiéter de leur impact sur la nature il en va autrement des ingénieurs
d’aujourd’hui qui grâce à la technologie peuvent aplanir des montagnes, inondées
de vastes territoires, assécher des mers ou acidifier la pluie de tout un
continent et que dire des pêcheurs qui vident les océans de leurs poissons ou
des producteurs de bois d’œuvre qui peuvent raser une forêt entière en quelques
jours. Depuis le XXe siècle, notre capacité de création est devenue égale à
notre capacité de détruire, non plus à l’échelle d’un village, mais à celle de
la planète entière. Nous détruisons plus efficacement et de plus en plus
rapidement à un point telle que la nature n’est plus en mesure de se régénérer
complètement. Animées par le credo de la croissance économique, nos sociétés
foncent littéralement dans le mur, car tôt ou tard la pénurie de ressources et
la dégradation de l’environnement affecteront nos descendants. La Chine qui est
devenue la manufacture de la planète subit déjà à l’accéléré les contrecoups de
sa forte croissance, un exemple qui devrait pourtant alerter le reste de
l’humanité, car nous vivons toujours sur la même planète que les Chinois. Leurs
problèmes environnementaux sont maintenant les nôtres, car aucune pollution ne
respecte les frontières politiques, tôt ou tard nous finissons tous par nous
empoissonner mutuellement!
Le Saint-Laurent, un écosystème fragile à protéger sans compromis ! |
Reliques vivantes de la dernière glaciation, les bélugas du
Saint-Laurent sont-ils plus importants qu’un terminal pétrolier, vecteur de
richesse et de croissance économique? Face à une telle question truquée, la
majorité des gens auront tendance à dire non! Normal, on n’arrivera jamais à
compenser par des croisières aux bélugas les revenus que pourra générer la
vente du pétrole albertain sur les marchés internationaux, que le gouvernement
Couillard souhaite récupérer, en partie (!), via la péréquation sans doute. Il
est vrai que le béluga ne sera jamais un vecteur de richesse, il est à peine
visible l’été et quasiment invisible entre les glaces blanches l’hiver! Vous
aurez compris que j’utilise ici la voie de l’ironie, car aucune richesse ne
pourra nourrir l’humanité si l’air, le sol et l’eau n’ont plus la capacité de
bien supporter le vivant. Le béluga comme la morue demeurent de puissants
indicateurs qui nous renseignent sur l’état de santé du Saint-Laurent. Le
maintien des populations de ces espèces animales devrait donc constituer une
priorité, non seulement pour les riverains du Saint-Laurent, mais pour
l’ensemble des populations de la planète.
Que faire alors? Allez protester à Cacouna ou à Sorel chaque
week-end avec sa voiture à essence, ou adopter un mode de vie qui rendra les
énergies fossiles inutiles ou du moins beaucoup moins utiles qu’elles le sont
présentement? Honnêtement je crois que nous n’avons plus le choix, car si notre
protestation n’avait comme résultat que de déplacer le transport du pétrole
vers d’autres territoires ou d’autres cours d’eau, nous ne pourrions crier
victoire. Même si le pétrole albertain est plus polluant que celui de la mer du
nord ou du golfe du Mexique (qui parvient déjà par pétroliers à la raffinerie
Valero en face de Québec!), à terme les deux types de pétrole contribuent au
réchauffement climatique et présentent un risque environnemental inacceptable
lors de leur transport. Mais peu d’entre nous sont vraiment disposés à réduire
leur confort pour abaisser de manière significative la consommation d’énergies
fossiles et la production de GES qui en découle, c’est pourtant la seule
manière d’y parvenir! Si le problème est planétaire, la solution ne peut être
que local et individuel, elle passe par une prise de conscience de notre impact
sur la nature, mais surtout par un changement radical de notre manière de vivre
et de consommer. Mais est-ce vraiment possible? Suis-je en proie à une forme
d’angélisme ou de rêve éveillé? Est-ce bien réaliste de penser que nous
pourrons opérer un changement qui implique une décroissance de l’économie et un
retour à une vie plus simple basée sur une plus forte autonomie des régions?
Devrons-nous attendre que le dernier puits de pétrole suinte sa dernière goutte
d’ici 60 ou 100 ans pour agir,
alors qu’il sera impossible de réparer le gâchis environnemental? À ce jour, aucune
civilisation n’a renoncé volontairement au « progrès » (lire
croissance), les seuls reculs sont attribuables à des catastrophes naturelles,
aux guerres, à des crises boursières ou à de grandes pandémies. Par ailleurs
l’être humain a une vilaine propension à contourner ses propres règles et lois
pour tirer des avantages personnels ou s’accaparer des richesses. Sous cet
angle, la « simplicité volontaire » à l’échelle planétaire apparaît
donc comme parfaite utopie, même dans les pays qui aspirent au développement.
Répétons la question : que faire alors? La parole la
plus sage que j’ai entendu jusqu’à maintenant a été dite par le « très
respectable » David Suziki lors de son passage à Québec au début du mois.
En gros il a dit que l’espoir de la terre repose maintenant entre les mains de
nos jeunes enfants. C’est effectivement sur eux que nous devons miser en espérant
qu’ils pourront oublier les travers de l’humanité et adhérer à de nouvelles
valeurs centrées sur le respect de l’environnement et les capacités réelles de
la terre à supporter l’activité humaine. Cela dit, contester les projets
pétroliers n’est pas un geste inutile si cette contestation revêt un caractère
global au même titre que le réchauffement climatique affecte l’ensemble de la
planète... le « pas dans ma cour » est complètement absurde si nous
ne sommes pas prêts également à réduire notre dépendance aux carburants
fossiles. Comme bibliothécaire, j’oserais ajouter que l’éducation sera toujours
le plus puissant facteur de changement, mais l’éducation sans contaminant,
c’est-à-dire débarrassé des bêtises véhiculées par les religions, le politique,
les pouvoirs financiers, les nationalismes et tous les autres obstacles à la
véritable connaissance. Dans ce contexte quoi penser du gouvernement Harper qui
muselle nos scientifiques, endosse des thèses mystico-religieuses tout en
favorisant l’industrie pétrolière... un bel exemple de bêtise politique! Malgré leurs défauts, propre à l’ensemble
du genre humain, j’ose croire que
les Québécois sont plus près des valeurs de la Nature et qu’ils sauront prendre
le virage qui s’impose... mais
l’état fédéral pourrait leur faire avaler de force le pétrole de l’ouest, la
richesse l’emportant, encore une fois, sur la vertu et l’écologie !