Abraham Lincoln en 1863, deux ans avant sa mort à 56 ans. |
Lorsqu’il a jailli dans la loge présidentielle du théâtre
Ford, John Wilkis Booth avait un minuscule pistolet à la main, un Derringer.
Nul besoin d’un canon pour tuer un homme, une seule petite balle tirée à la
tête et le président Lincoln devait mourir neuf heures après le tir
fatidique. Après une chasse à l’homme, Booth périt à son tour sous les balles
de soldats de l’Union et ses complices furent pendus et le peuple pleura ce
président qui réunifia le nord et le sud et abolit l’esclavage. Mais assez
curieusement, l’arme maudite de ce
crime historique bénéficia d’une certaine "publicité" et fit la fortune de plusieurs
armuriers et de marchands d’armes. Le « Derringer » désigne
maintenant toute une catégorie de pistolets miniatures que l’on peut même
dissimuler dans une botte de cow-boy ou dans un très petit sac à main. Le Derringer
se décline dans une grande variété de formes et de couleurs, qui font presque oublier
le caractère létal de cette arme, car le Derringer contemporain est bien plus
« efficace » que sa version de 1865 !
La mort violente en direct de deux journalistes
de la station WDBJ en Virginie le 26 août, souligne une fois de plus que la
facilité d’accès des armes à feu favorise grandement le passage à l’acte
d’individus perturbés ou motivés par différentes causes. La tuerie de
Charleston qui aurait inspiré l’assassin des journalistes Alison Parker et Adam
Ward aurait été plus complexe à mettre en oeuvre si son auteur n’avait eu accès
qu’à des armes de chasse conventionnels ou à des armes blanches. Une arme
capable de tirer des dizaines de balles en quelques secondes ou que l’on peut
dissimuler dans une poche ou un sac à main ne devrait pas être en vente libre
et surtout pas accessible à des individus perturbés.
La fascination pour ce type d’armes, dont la finalité est de
faire feu sur un être humain (très mal adaptés pour la chasse au chevreuil !), est pour le moins étonnante. Comme
plusieurs Américains, on peut toujours justifier le recours aux « armes
portables », voir même aux fusils d’assaut, dans un but d’autodéfense, mais dans les
faits il est plutôt rare qu’une personne soit en mesure d’utiliser efficacement
une arme contre un agresseur potentiel. Souvent mal entreposées ou utilisées
avec négligence les armes « d’autodéfense » se retournent parfois contre
leur propriétaire et leurs proches. Chaque année les médias nous rapportent des histoires d’horreur ou une
arme dite d’autodéfense a finalement tué accidentellement un jeune enfant, une
conjointe ou le voisin venu emprunter une tasse de sucre. Malgré tout « le
gun » fascine l’humain et les
hommes en particulier qui raffolent de tout ce qui pétarade et leur procure un
sentiment de puissance instantanné ! Pas
étonnant dans ce contexte que la National Rifle Association arrive à recruter
plus de 5 millions de membres aux USA et cela en se donnant l’allure d’une
organisation de défense des droits civiques! Dans ce contexte, posséder un
Derringer est non seulement une manière de se protéger des vilains, mais également
d’affirmer sa propre liberté, garantie par le deuxième amendement de la constitution
américaine.
Le "petit" Derringer de John Wilkis Booth |
Le Derringer n’est pas la seule « arme mythique »
à susciter l’admiration d’une partie de l’humanité, du colt à la kalachnikov le
rayon de la quincaillerie meurtrière est bien rempli et se perfectionne au fil du temps. Ainsi la guerre de sécession américaine bénéficia de
plusieurs avancées technologiques qui vont préfigurer la Première Guerre
mondiale. Avec plus de 600 000 morts, cette guerre fratricide a été la
plus meurtrière des États-Unis jusqu’à ce jour! Pourtant, le culte des armes
demeure bien présent chez nos voisins du Sud, comme si l’horreur de la guerre ne
faisait que le renforcer! Même le massacre d’innocents petits enfants par un déséquilibré à l’école
de Sandy Hook à Newtown en 2012, n’arriva pas à émouvoir les membres de la
puissante NRA qui en rajoutèrent une couche en proposant comme remède aux
tueries d’armer les directions d’école!!! Imaginez la scène où les membres de
la direction répliquent aux tireurs fous en tirant à leur tour avec les enfants
au milieu... deux fois plus de victimes dans le meilleur des résultats!!! Dans
les faits, il y a peu de parades possibles contre un illuminé ou un terroriste
qui décide du jour au lendemain de mettre un terme à ses jours en emportant
avec lui un maximum de personnes innocentes, sinon de réduire l’accès aux armes
dont la finalité est de tuer des êtres humains, car on ne va pas à la chasse à
l’orignal avec un fusil d’assaut! Mais comme les humains sont les rois de la
triche, on arrivera toujours à trouver sur le marché un fusil d’assaut destiné
à la chasse aux écureuils! Il y a en plus tous ces imitateurs qui arrivent à
glorifier les auteurs de tueries et qui aspirent à les dépasser dans l’horreur,
question d’obtenir leurs 5 minutes de gloire dans les médias, de manifester leur existence par l’extrême violence et l’absurdité!
Contrairement à John F. Kennedy dont la tête a explosé sous
l’impact des balles à haute vélocité de la carabine Manlicher-Carcano de Lee
Harvey Oswald, Abraham Lincoln est mort d’une lente agonie avec la petite balle
du Derringer enfoncée dans sa boîte crânienne. « Le Sud est vengé! »,
aurait crié Booth avant de s’enfuir du théâtre Ford. Comme la vengeance est le
moteur de toutes les violences et de toutes les guerres, ce crime n’a bien sûr
rien réglé, il a même « légitimé » en quelque sorte l’option de l’assassinat
politique aux États-Unis, dont les deux frères Kennedy (et avant eux les présidents Garfield en 1881 et McKinley en 1901) et Martin Luther King ont
été les plus célèbres victimes. Sans les mesures de sécurité extrêmes qui
entourent maintenant les politiciens américains, il a fort à parier que le
bilan serait encore plus sombre aujourd’hui. Ronald Reagan a d’ailleurs bien failli
devenir le cinquième président américain assassiné en mars 1981, lorsqu’un
désaxé tira 6 balles en sa direction avec un revolver.
John Wilkis Booth, l'assassin de Lincoln |
Est-ce que le mal vient des hommes ou de leurs armes? Le
mal, ou ce qui est mauvais ne peut être associé à un objet. Une pierre au sol n’est ni bonne ni mauvaise, mais si vous la prenez dans vos mains et la lancé sur un de vos semblables c’est uniquement à ce moment qu’elle devient un
« vecteur » du mal. Évident me direz-vous? Mais que dire d’un fusil
d’assaut dont la conception et la fabrication ont pour finalité de tuer des
êtres humains? Le simple fait d’acquérir ou de posséder une telle arme ne
trahit-il pas l’intention de son propriétaire, celle de l’utiliser contre ses
semblables, qu’ils soient bons ou méchants? Une arme c’est comme un outil, à
partir du moment où elle est à votre disposition elle a le potentiel d’être
utilisée. C’est la même chose pour les armées, rares sont les pays qui
disposent d’une armée dont les soldats ne font que cueillir des marguerites,
règle générale les armées finissent toujours par faire la guerre quelque part et à "tuer des pauvres gens" (la formule est de Boris Vian dans sa chanson le déserteur).
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