J’ai toujours aimé les bateaux, même dans ma tendre enfance alors que je naviguais dans des boîtes en carton avec mes cousins sur des océans de pelouses bien vertes! Le fleuve n’était pas très loin pourtant, juste devant mes yeux sur les hauteurs de Villeneuve sur le chemin du Roi où j’ai vécu ma petite enfance. Dans la tête du jeune garçon que j’étais, le fleuve était un lieu très mystérieux que j’observais souvent de la fenêtre de ma chambre située à l’étage de la maison de mon grand-père maternel où ma famille habitait. De ma « tour » d’observation je nourrissais mon imaginaire, le fleuve était un lieu où les bateaux apparaissaient d’un côté et disparaissaient de l’autre de manière très mystérieuse. À cinq ans la notion de territoire se limite souvent à la cour arrière de sa maison, au-delà la terre devient une véritable abstraction que les adultes décrivent avec un vocabulaire encore inaccessible à de jeunes oreilles. Pour moi le fleuve n’était donc relié à rien d’autre qu’à lui-même et les bateaux émergeaient simplement du néant!
Je ne suis pas né dans une famille
de navigateur et encore moins de constructeurs de navires et mon parcours de
vie n’a fait que m’éloigner des
bateaux et de la mer. Je suis donc demeurer un navigateur de l’imaginaire, admiratif de l’architecture navale et
de ceux qui ont le courage d’affronter les mers du
globe. Pour mon plus grand malheur, j’ai même découvert au
début de la vingtaine que je n’avais
pas le pied marin, une excursion de pêche à la morue aux îles de la Madeleine m’a vite fait comprendre
que j’appréciais plus la stabilité de la
terre ferme que les mouvements de lacet et de tangage d’une coquille de noix portée par une mer houleuse! J’ai donc abandonné assez tôt le rêve de
construire mon voilier et de faire le tour de la planète, même si le
travail du bois était inscrit dans mes gènes. En effet, à
défaut d’être né dans une famille de navigateur, mon grand-père maternel (voir mon article du 15 mai 2013), Philippe Grenier, menuisier charpentier de son métier, m’a sans doute légué sa passion pour le travail du bois. Mais contrairement à lui, ma
passion pour le travail du bois est demeurée un passe-temps
que j’exerce toutefois avec sérieux et en
respectant les règles du métier.
Comme mon grand-père j’ai mon propre atelier, aménagé dans le garage de la maison. Mon grand-père Philippe ne
serait pas nécessairement à
son aise dans cet atelier d’un autre siècle où les outils électriques occupent une large place. Parfois j’avoue que je délaisse volontairement la commodité de ces outils pour revenir au
plaisir très manuel de pousser un bon vieux rabot ou de réaliser une coupe
de précision avec une scie japonaise bien aiguisée. De surcroît les
outils manuels n’abîment pas les
oreilles et produisent infiniment moins de poussière de bois que la
plupart des outils électriques. Lorsque l’on ne gagne pas sa vie
dans son atelier, on peut se permettre le luxe d’étirer un
projet volontairement!
Je travaille le bois depuis près de
quarante ans et ma spécialité demeure l’ébénisterie. J’ai fabriqué des
armoires de toutes sortes, des tables, des guéridons, un grand buffet-vaisselier,
des coffrets, des chaises et bien d’autres
choses comme en témoignent quelques articles que j’ai déjà publiés dans mon
blogue. Mais il y a 12 ans, mon vieux rêve de réaliser mon propre
bateau a refait surface... si j’ose dire! Le voilier étant un
projet trop ambitieux et non compatible à ma condition de terrien-nauséeux-sur-mer-houleuse, j’ai donc jeté mon dévolu sur
un projet plus modeste qui me permettrait néanmoins d’entrer dans le cercle fermé
des constructeurs d’embarcations
de bois. C’est ainsi que j’ai décidé de m’attaquer à la
construction d’un kayak de mer. Ce type
d’embarcation peut naviguer aussi bien au bord
de la mer que dans un lac bien calme. À mes
yeux, il n’y a rien de plus beau qu’un kayak ou un canoë de bois sur un plan d’eau, car il s’harmonise parfaitement
au paysage naturel.
En bon bibliothécaire, j’ai d’abord décidé du nom du kayak avant de le construire et c’est en pensant à l’île d’Orléans et à l’un de ses plus illustres habitants que le nom a jailli bien
naturellement. Félix Leclerc a écrit le « Fou de l’île » bien avant de s’établir sur l’île d’Orléans. Écrit dans les années 40 le livre paraîtra pour la première fois en 1958 chez Denoël à Paris et Beauchemin à Montréal. Il était déjà dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et je l’ai revisité à quelques reprises. Je sais qu’il n’est pas coutume de baptiser un kayak de mer ou une chaloupe, mais pour
moi l’aventure que représentait la construction d’un kayak méritait de porter un nom comme un livre porte un titre. Cela dit, il n’y a pas vraiment de rapport entre le récit de Félix et mon kayak de mer,
sinon l’hommage que je voulais rendre à l’auteur et à son île.
Le fou de l'Île sur la plage de Bonaventure en Gaspésie |
Le cerf-volant en marqueterie de bois est un clin d'oeil à la couverture de la première édition du "Fou de l'île" parue chez Beauchemin. |
C’est bien connu, les
bibliothécaires ont la réputation (?) d’être des personnes très structurées, réservées et vivant dans l’imaginaire plutôt que dans
la réalité pure et dure. Vous voyez déjà la bibliothécaire coincée à chignon ou le bibliothécaire un peu rat de bibliothèque qui a réponse à tout,
mais qui est incapable de clouer un clou. Ce qui demeure vrai dans ce mythe
populaire, c’est que les bibliothécaires
sont effectivement des êtres très structurés et que le passage à
l’acte peut être parfois
difficile pour eux, tant qu’ils n’ont pas fait le tour de la question dans la documentation! Je dois l’avouer c’est mon cas : deux ans de lecture et d’analyse avant de débuter la fabrication de mon kayak en 2002, dans le genre prudent on ne
fait pas mieux! Je vous rassure, je ne suis pas aussi prudent partout et il m’arrive comme tout le monde d’improviser,
mais rarement en ébénisterie, un art de précision où les raccourcis n’existent pas.
Dans ma quête d’information pour fabriquer un kayak de mer j’ai consulté plusieurs sites web et
trois livres qui font maintenant partie de ma bibliothèque :
- Nick Schade, The Strip-Built Sea Kayak ; Three Rugged, Beautiful Boats You can Build, Camdem ME, Ragged Mountain Press, 1997, 202 pages. ISBN 007057989-X
- Ted Moores, Kayak Craft ; Fine Woodstrip Kayak Construction, Brooklin ME, Woodenboat, 1999,175 pages. ISBN 0937822566
- David Hazen, The Stripper’s Guide to Canoe-building, Larkspur CA, Tamal Vista Publications, 1994, 93 pages. ISBN 0917436008
Malgré leur âge respectif ces trois livres demeurent encore aujourd’hui « les références » en matière de fabrication de
kayak et de canoë en bois latté. Mentionnons que les auteurs Nick Schade (Guillemot Kayaks) et Ted
Moores (Bear Mountains boats) sont également
à la tête de
compagnies qui proposent à leur clientèle des plans et des kits de kayaks et de canoës. Les livres de ces deux auteurs sont également les plus pertinents pour toute personne qui souhaite se lancer
dans la fabrication d’un kayak en lattes de
bois. Personnellement j’ai surtout utilisé le livre de Nick Schade car il propose trois modèles de kayak avec les coordonnées
x/y pour tracer les profils de chaque section des kayaks, dont le Guillemot 17
pieds que j’ai réalisé. Le livre de David
Hazen a ceci de particulier que l’on y retrouve des
patrons complets (pliés à l’intérieur du livre en papier journal) pour découper les profils, les modèles
proposés ne sont toutefois pas aussi intéressants que ceux de Schade et Moores et les illustrations ne sont pas
toujours très réussies. Nick Schade, un ingénieur
naval de formation, est de loin le maître
incontesté du « design » de kayak, au
point que certaines de ses « œuvres » sont exposées dans des musées. Son site internet regorge d’information
qui complète à
merveille son livre, dont plusieurs vidéos. C’est en découvrant son Guillemot
de 17 pieds que j’ai finalement décidé de passer à l’action, ce kayak répondait à l’ensemble de ma vision d’un beau kayak de bois!
L'auteur de ces lignes sur le Fleuve Saint-Laurent en face de Beaumont, par une journée presque sans vent, très rare sur le fleuve ! |
Depuis son lancement à la plage de Saint-Jean à l’île d’Orléans, en juillet 2003, le « fou de l’île » a navigué dans le fleuve, dans la mer et sur plusieurs lacs et rivières, il a prouvé sa stabilité et sa manœuvrabilité dans différentes conditions de
navigation. Dans la suite de ce blogue je vais vous raconter l’histoire de sa construction et des défis techniques que l’on doit relever face à une telle entreprise. Il faut l’admettre
il y a peu de documents en français sur la fabrication
des kayaks et des canots en lattes de bois, j’espère donc contribuer
modestement à fournir une base à ceux qui comme moi voudront se lancer dans la fabrication de leur "fou de l’île".
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