Dans ce cours extrait, la passion amoureuse de Denis Diderot pour sa maîtresse ne laisse aucun doute ! Je viens de terminer sa
biographie et la curiosité m’a amené à explorer le web à la recherche de sa
correspondance avec « Sophie » Volland. Comme je le présumais,
plusieurs sources offrent un accès à l’ensemble de ses lettres, libre de droits
depuis fort longtemps! Une version HTML des lettres est même disponible sur
Wikisource à l’adresse suivante :
La relation
épistolaire de Diderot avec sa maîtresse est très abondante, plus de 553
lettres dont 187 seulement ont été retrouvées. Malheureusement aucune des
lettres écrites par Sophie Volland à Diderot ne sont parvenues jusqu’à nous, pas
plus qu’une représentation d’elle par un peintre. Contrairement à ce que je
croyais, après la lecture de la biographie de Jacques Attali, la relation
épistolaire de Diderot avec sa maîtresse n’est pas qu’une longue tirade
romantique. Faute d’avoir accès au cellulaire ou à la messagerie électronique,
le grand homme utilisait un moyen de son époque pour maintenir un
« contact discret » avec sa maîtresse et lui faire part de tous ses
états d’âme, si bien que ses authentiques élans amoureux sont souvent entremêlés
de ses propos philosophiques ou de ses récits d’événements. Bref, il faut
fouiller un peu pour retrouver des passages, qui encore aujourd’hui, pourraient
faire fondre bien des cœurs. Bien sûr, depuis Diderot la langue française a
évolué et les mots de l’amour aussi. Ainsi, dire « adieu » plusieurs
fois à sa maîtresse dans la même lettre correspondrait aujourd’hui à l’expression
d’une rupture définitive plutôt qu’à un déferlement de passion! Le style
épistolier du XVIIIe siècle avait ses propres conventions, il faut donc lire la
correspondance de Diderot avec les lunettes de l’époque, si j’ose dire!
Diderot par Louis-Michel van Loo, 1767 (Musée du Louvre) |
Si Diderot avait envoyé des textos à sa maîtresse plutôt que
des lettres (numérotées de surcroît!), nous n’aurions pas aujourd’hui le
sublime plaisir de déguster cette prose empreinte de passion! On peut donc
présumer qu’il se perd dans les méandres de notre monde câblé des petits bijoux
de romantisme que quelques amants auront partagé brièvement, le temps d’un
gazouillis. L’éternité tient parfois à peu de choses : un papier, un peu
d’encre et la volonté de conserver ce qui semble n’appartenir qu’au quotidien.
Les échanges de « Denis » et de
« Sophie » n’ont rien de sulfureux, à vrai dire, ils sont même plutôt
pudiques (oubliez le marquis de Sade !). Il apparaît évident que Diderot idéalisait sa maîtresse si différente
de « sa Toinette » (Anne-Toinette son épouse avec laquelle il aura 4
enfants, dont un seul, Angélique, se rendra à l’âge adulte). Leur amour n’aura
rien d’un feu de paille! en effet leur correspondance s’étend sur vingt ans et
laisse entrevoir une relation pleine de tendresse et de vertu! Voici deux
extraits qui me semblent assez révélateurs de la nature de leur relation :
"Avec vous, je sens, j’aime, j’écoute, je regarde, je caresse, j’ai une sorte d’existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos bras, je jouis d’un bonheur au-delà duquel je n’en conçois point. Il y a quatre ans que vous me parûtes belle; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus".
Comme je ne suis pas un spécialiste de l’œuvre de Diderot, ni du Siècle des Lumières et de sa littérature, je laisse à d’autres le soin d’interpréter avec verve et science le contenu de la correspondance de Diderot avec « mademoiselle » Volland. Je me contenterai de me laisser séduire par de courts extraits qui malgré le temps qui a passé demeurent aussi actuels que l’amour qui peut unir deux êtres. Voici donc d’autres extraits « cueillis » dans le désordre dans ce jardin :
« Mon amie, si par quelque enchantement je vous retrouvais tout à coup à côté de moi, il y a des moments où j’en pourrais mourir de joie. Il est sûr que je ne connais ni bienséance, ni respect qui puisse m’arrêter. Je me précipiterais sur vous, je vous embrasserais de toute ma force, et je demeurerais le visage attaché sur le vôtre, jusqu’à ce que le battement fût revenu à mon cœur, et que j’eusse recouvré la force de m’éloigner pour vous regarder. Je vous regarderais longtemps avant que de pouvoir vous parler : je ne sais quand je retrouverais la voix, et quand je prendrais une de vos mains et que je la pourrais porter à ma bouche, à mes yeux, à mon cœur. J’éprouve, à vous entretenir de ce moment et à l’imaginer, un frissonnement dans toutes les parties de mon corps, et presque la défaillance. Ah! chère amie, combien je vous aime, et combien vous le verrez lorsque nous serons rendus l’un à l’autre! »
« Je suis chez mon ami, et j’écris à celle que j’aime. Ô vous, chère femme, avez-vous vu combien vous faisiez mon bonheur ! Savez-vous enfin par quels liens je vous suis attaché? Doutez-vous que mes sentiments ne durent aussi longtemps que ma vie? J’étais plein de la tendresse que vous m’aviez inspirée quand j’ai paru au milieu de nos convives; elle brillait dans mes yeux; elle échauffait mes discours; elle disposait de mes mouvements; elle se montrait en tout. »
« Vous vous portez bien, vous pensez à moi, vous m’aimez, vous m’aimerez toujours. Je vous crois; me voilà tranquille, je renais; je puis jouer, me promener, causer, travailler, être tout ce qui vous plaira. Ils ont dû me trouver, ces deux ou trois derniers jours, bien maussade. Non, mon amie, votre présence même n’aurait pas fait sur moi plus d’impression que votre première lettre. Avec quelle impatience je l’attendais! Je suis sûr qu’en la recevant mes mains tremblaient, mon visage se décomposait, ma voix s’altérait; et que si celui qui me l’a remise n’est pas un imbécile, il aura dit : Voilà un homme qui reçoit des nouvelles ou de son père, ou de sa mère, ou de celle qu’il aime. Au même moment je venais de faire partir un billet où vous aurez vu toute mon inquiétude. Tandis que vous vous amusiez, vous ne saviez pas tout ce que mon âme souffrait. »
« Adieu, ma tendre, ma respectable amie; je vous aime avec la passion la plus sincère et la plus forte. Je voudrais vous aimer encore davantage, mais je ne saurais. »
« Je ne vous verrai point encore aujourd’hui, à moins que ce ne soit sur le soir. S’il faisait un temps bien orageux, bien pluvieux, bien noir, je me jetterais dans un fiacre, et j’arriverais. Puisse-t-il faire ce temps! puissé-je voir mon amie! Dites-moi pourquoi je vous trouve plus aimable de jour en jour. Ou me cachiez-vous une partie de vos qualités, ou ne les apercevais-je pas? Je ne saurais vous rendre l’impression que vous fîtes sur moi pendant le petit moment que nous passâmes ensemble avant-hier. C’est, je crois, que vous m’aimez davantage. »
« Bonsoir, ma Sophie, je m’en vais plein de joie, la plus douce et la plus pure qu’un homme puisse ressentir. Je suis aimé, et je le suis de la plus digne des femmes. »
Seule la mort mettra un terme définitif à leur relation, Diderot meurt en juillet 1784, à peine cinq mois après Sophie.
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