vendredi 31 octobre 2014

Le projet de terminal pétrolier à Cacouna ; vertu et écologie vs profits et pétrole

Face à la mobilisation citoyenne à Cacouna, deux motocyclistes ont décidé de « rincer » leur moteur pour étouffer la voix de la contestation... leur argumentaire : protester contre le fait que les manifestants étaient en majorité des gens de l’extérieur de la région pour qui la protection de quelques mammifères marins est plus importante que la création d’emploi et la prospérité économique. Pendant ce temps dans la Capitale, le premier ministre Couillard rappelait aux distingués membres de l’Assemblée nationale que le Québec est encore une province du Canada et qu’il doit contribuer à la richesse collective en facilitant la vente du pétrole albertain à l’étranger. Pas très loin de là, à l’Université Laval, David Suziki recevait un doctorat honoris causa pour l’ensemble de son œuvre et son engagement envers la cause environnementale, Le Soleil qui a couvert l’événement publiait dans la même page que l’article une publicité de TransCanada pipelines... Sans doute une forme d’humour noir!

Nous vivons vraiment dans un monde schizophrène, ou notre amour de la nature est confronté à notre désir de richesse et de confort, ce qui nous amène invariablement à faire les pires compromis. Nous voulons de l’eau pure, de l’air pur, un climat tempéré, des légumes sans pesticides, mais en conservant notre notre grosse maison énergivore, nos voitures-bateaux-motos-4 roues-tondeuses-souffleuses à essence, nos millions de kilomètres de routes asphaltées, nos kiwis de Nouvelle-Zélande, nos ananas du Honduras, nos tomates du Mexique et nos millions de bidules made in china... Cherchez l’erreur : la plupart des manifestants de Cacouna, incluant les deux motocyclistes et l’auteur de ces lignes, font bel et bien partie de la même grande famille des humains égocentriques. Tirez la pierre aux deux seuls motocyclistes serait vraiment trop facile, car dans le groupe des défenseurs des bélugas il y a sans doute autant de consommateurs de produits pétroliers qui sont venus soulager leur mauvaise conscience en participant à cette « petite marche » par un beau dimanche, après l’autocueillette des pommes! Mais aucun d’entre eux n’est sans doute disposé à payer le véritable prix d’un monde sans énergie fossile qui n’émet que très peu de gaz à effet de serre (GES). Dans les faits, l’enjeu de Cacouna dissimule des enjeux planétaires.

Objectivement, la création d’un terminal pétrolier à Cacouna, comme l’exploitation des gaz de schistes dans la vallée du Saint-Laurent, constitue un risque environnemental totalement inacceptable. Dans les faits, il n’y a aucun écosystème terrestre qui soit vraiment compatible avec l’extraction et l’utilisation massive du pétrole ou de tout autre « produit » qui perturbe leur équilibre. La nature a mis des millions d’années à établir de fragiles équilibres qui n’ont pas la capacité de s’ajuster en temps réel aux assauts répétés que le lui fait subir genre humain, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous assistons présentement à l’une des pires extinctions d’espèces vivantes depuis celle du Crétacé. Malheureusement, les êtres humains font preuve de myopie face à la nature, ils ne voient que l’instant présent et le fond de leur cour arrière! Alors, comment leur faire prendre conscience que le béluga, la morue, l’étoile de mer ou l’oursin sont d’authentiques miracles dont l’apparition repose sur une chaîne d’événements rares et uniques dans tout le système solaire et même au-delà. Si les constructeurs de cathédrale du Moyen âge ne devaient guère s’inquiéter de leur impact sur la nature il en va autrement des ingénieurs d’aujourd’hui qui grâce à la technologie peuvent aplanir des montagnes, inondées de vastes territoires, assécher des mers ou acidifier la pluie de tout un continent et que dire des pêcheurs qui vident les océans de leurs poissons ou des producteurs de bois d’œuvre qui peuvent raser une forêt entière en quelques jours. Depuis le XXe siècle, notre capacité de création est devenue égale à notre capacité de détruire, non plus à l’échelle d’un village, mais à celle de la planète entière. Nous détruisons plus efficacement et de plus en plus rapidement à un point telle que la nature n’est plus en mesure de se régénérer complètement. Animées par le credo de la croissance économique, nos sociétés foncent littéralement dans le mur, car tôt ou tard la pénurie de ressources et la dégradation de l’environnement affecteront nos descendants. La Chine qui est devenue la manufacture de la planète subit déjà à l’accéléré les contrecoups de sa forte croissance, un exemple qui devrait pourtant alerter le reste de l’humanité, car nous vivons toujours sur la même planète que les Chinois. Leurs problèmes environnementaux sont maintenant les nôtres, car aucune pollution ne respecte les frontières politiques, tôt ou tard nous finissons tous par nous empoissonner mutuellement! 

Le Saint-Laurent, un écosystème fragile à protéger sans compromis !



Reliques vivantes de la dernière glaciation, les bélugas du Saint-Laurent sont-ils plus importants qu’un terminal pétrolier, vecteur de richesse et de croissance économique? Face à une telle question truquée, la majorité des gens auront tendance à dire non! Normal, on n’arrivera jamais à compenser par des croisières aux bélugas les revenus que pourra générer la vente du pétrole albertain sur les marchés internationaux, que le gouvernement Couillard souhaite récupérer, en partie (!), via la péréquation sans doute. Il est vrai que le béluga ne sera jamais un vecteur de richesse, il est à peine visible l’été et quasiment invisible entre les glaces blanches l’hiver! Vous aurez compris que j’utilise ici la voie de l’ironie, car aucune richesse ne pourra nourrir l’humanité si l’air, le sol et l’eau n’ont plus la capacité de bien supporter le vivant. Le béluga comme la morue demeurent de puissants indicateurs qui nous renseignent sur l’état de santé du Saint-Laurent. Le maintien des populations de ces espèces animales devrait donc constituer une priorité, non seulement pour les riverains du Saint-Laurent, mais pour l’ensemble des populations de la planète.

Que faire alors? Allez protester à Cacouna ou à Sorel chaque week-end avec sa voiture à essence, ou adopter un mode de vie qui rendra les énergies fossiles inutiles ou du moins beaucoup moins utiles qu’elles le sont présentement? Honnêtement je crois que nous n’avons plus le choix, car si notre protestation n’avait comme résultat que de déplacer le transport du pétrole vers d’autres territoires ou d’autres cours d’eau, nous ne pourrions crier victoire. Même si le pétrole albertain est plus polluant que celui de la mer du nord ou du golfe du Mexique (qui parvient déjà par pétroliers à la raffinerie Valero en face de Québec!), à terme les deux types de pétrole contribuent au réchauffement climatique et présentent un risque environnemental inacceptable lors de leur transport. Mais peu d’entre nous sont vraiment disposés à réduire leur confort pour abaisser de manière significative la consommation d’énergies fossiles et la production de GES qui en découle, c’est pourtant la seule manière d’y parvenir! Si le problème est planétaire, la solution ne peut être que local et individuel, elle passe par une prise de conscience de notre impact sur la nature, mais surtout par un changement radical de notre manière de vivre et de consommer. Mais est-ce vraiment possible? Suis-je en proie à une forme d’angélisme ou de rêve éveillé? Est-ce bien réaliste de penser que nous pourrons opérer un changement qui implique une décroissance de l’économie et un retour à une vie plus simple basée sur une plus forte autonomie des régions? Devrons-nous attendre que le dernier puits de pétrole suinte sa dernière goutte d’ici 60  ou 100 ans pour agir, alors qu’il sera impossible de réparer le gâchis environnemental? À ce jour, aucune civilisation n’a renoncé volontairement au « progrès » (lire croissance), les seuls reculs sont attribuables à des catastrophes naturelles, aux guerres, à des crises boursières ou à de grandes pandémies. Par ailleurs l’être humain a une vilaine propension à contourner ses propres règles et lois pour tirer des avantages personnels ou s’accaparer des richesses. Sous cet angle, la « simplicité volontaire » à l’échelle planétaire apparaît donc comme parfaite utopie, même dans les pays qui aspirent au développement.

Répétons la question : que faire alors? La parole la plus sage que j’ai entendu jusqu’à maintenant a été dite par le « très respectable » David Suziki lors de son passage à Québec au début du mois. En gros il a dit que l’espoir de la terre repose maintenant entre les mains de nos jeunes enfants. C’est effectivement sur eux que nous devons miser en espérant qu’ils pourront oublier les travers de l’humanité et adhérer à de nouvelles valeurs centrées sur le respect de l’environnement et les capacités réelles de la terre à supporter l’activité humaine. Cela dit, contester les projets pétroliers n’est pas un geste inutile si cette contestation revêt un caractère global au même titre que le réchauffement climatique affecte l’ensemble de la planète... le « pas dans ma cour » est complètement absurde si nous ne sommes pas prêts également à réduire notre dépendance aux carburants fossiles. Comme bibliothécaire, j’oserais ajouter que l’éducation sera toujours le plus puissant facteur de changement, mais l’éducation sans contaminant, c’est-à-dire débarrassé des bêtises véhiculées par les religions, le politique, les pouvoirs financiers, les nationalismes et tous les autres obstacles à la véritable connaissance. Dans ce contexte quoi penser du gouvernement Harper qui muselle nos scientifiques, endosse des thèses mystico-religieuses tout en favorisant l’industrie pétrolière... un bel exemple de bêtise politique!  Malgré leurs défauts, propre à l’ensemble du genre humain,  j’ose croire que les Québécois sont plus près des valeurs de la Nature et qu’ils sauront prendre le virage qui s’impose...  mais l’état fédéral pourrait leur faire avaler de force le pétrole de l’ouest, la richesse l’emportant, encore une fois,  sur la vertu et l’écologie !

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