mercredi 23 juillet 2014





(1e partie)

KAYAK DE MER
LA GENÈSE DU PROJET


Jai toujours aimé les bateaux, même dans ma tendre enfance alors que je naviguais dans des boîtes en carton avec mes cousins sur des océans de pelouses bien vertes! Le fleuve nétait pas très loin pourtant, juste devant mes yeux sur les hauteurs de Villeneuve sur le chemin du Roi où jai vécu ma petite enfance. Dans la tête du jeune garçon que jétais, le fleuve était un lieu très mystérieux que jobservais souvent de la fenêtre de ma chambre située à létage de la maison de mon grand-père maternel où ma famille habitait. De ma « tour » dobservation je nourrissais mon imaginaire, le fleuve était un lieu où les bateaux apparaissaient dun côté et disparaissaient de lautre de manière très mystérieuse. À cinq ans la notion de territoire se limite souvent à la cour arrière de sa maison, au-delà la terre devient une véritable abstraction que les adultes décrivent avec un vocabulaire encore inaccessible à de jeunes oreilles. Pour moi le fleuve nétait donc relié à rien dautre quà lui-même et les bateaux émergeaient simplement du néant!

Navigateur de l'imaginaire !  Ici,  je suis vraiment à la barre d'un véritable navire:  le Ernest Lapointe... en rade au Musée maritime du Québec à L'Islet sur Mer...le paysage maritime derrière moi est celui du Golfe Saint-Laurent, capturé sur le traversier entre Souris et les Iles-de-la-Madeleine.


Je ne suis pas né dans une famille de navigateur et encore moins de constructeurs de navires et mon parcours de vie na fait que méloigner des bateaux et de la mer. Je suis donc demeurer un navigateur de limaginaire, admiratif de larchitecture navale et de ceux qui ont le courage daffronter les mers du globe. Pour mon plus grand malheur, jai même découvert au début de la vingtaine que je navais pas le pied marin, une excursion de pêche à la morue aux îles de la Madeleine ma vite fait comprendre que jappréciais plus la stabilité de la terre ferme que les mouvements de lacet et de tangage dune coquille de noix portée par une mer houleuse! Jai donc abandonné assez tôt le rêve de construire mon voilier et de faire le tour de la planète, même si le travail du bois était inscrit dans mes gènes. En effet, à défaut dêtre né dans une famille de navigateur, mon grand-père maternel (voir mon article du 15 mai 2013), Philippe Grenier, menuisier charpentier de son métier, ma sans doute légué sa passion pour le travail du bois. Mais contrairement à lui, ma passion pour le travail du bois est demeurée un passe-temps que jexerce toutefois avec sérieux et en respectant les règles du métier.

Comme mon grand-père jai mon propre atelier, aménagé dans le garage de la maison. Mon grand-père Philippe ne serait pas nécessairement à son aise dans cet atelier dun autre siècle où les outils électriques occupent une large place. Parfois javoue que je délaisse volontairement la commodité de ces outils pour revenir au plaisir très manuel de pousser un bon vieux rabot ou de réaliser une coupe de précision avec une scie japonaise bien aiguisée. De surcroît les outils manuels nabîment pas les oreilles et produisent infiniment moins de poussière de bois que la plupart des outils électriques. Lorsque lon ne gagne pas sa vie dans son atelier, on peut se permettre le luxe détirer un projet volontairement!

Je travaille le bois depuis près de quarante ans et ma spécialité demeure lébénisterie. Jai fabriqué des armoires de toutes sortes, des tables, des guéridons, un grand buffet-vaisselier, des coffrets, des chaises et bien dautres choses comme en témoignent quelques articles que jai déjà publiés dans mon blogue. Mais il y a 12 ans, mon vieux rêve de réaliser mon propre bateau a refait surface... si jose dire! Le voilier étant un projet trop ambitieux et non compatible à ma condition de terrien-nauséeux-sur-mer-houleuse, jai donc jeté mon dévolu sur un projet plus modeste qui me permettrait néanmoins dentrer dans le cercle fermé des constructeurs dembarcations de bois. Cest ainsi que jai décidé de mattaquer à la construction dun kayak de mer. Ce type dembarcation peut naviguer aussi bien au bord de la mer que dans un lac bien calme. À mes yeux, il ny a rien de plus beau quun kayak ou un canoë de bois sur un plan deau, car il sharmonise parfaitement au paysage naturel.

En bon bibliothécaire, jai dabord décidé du nom du kayak avant de le construire et cest en pensant à l’île dOrléans et à lun de ses plus illustres habitants que le nom a jailli bien naturellement. Félix Leclerc a écrit le « Fou de l’île » bien avant de s’établir sur l’île dOrléans. Écrit dans les années 40 le livre paraîtra pour la première fois en 1958 chez Denoël à Paris et Beauchemin à Montréal. Il était déjà dans ma bibliothèque depuis plusieurs années et je lai revisité à quelques reprises. Je sais quil nest pas coutume de baptiser un kayak de mer ou une chaloupe, mais pour moi laventure que représentait la construction dun kayak méritait de porter un nom comme un livre porte un titre. Cela dit, il ny a pas vraiment de rapport entre le récit de Félix et mon kayak de mer, sinon lhommage que je voulais rendre à lauteur et à son île.

Le fou de l'Île sur la plage de Bonaventure en Gaspésie

Le cerf-volant en marqueterie de bois est un clin d'oeil à la couverture de la première édition du "Fou de l'île" parue chez Beauchemin. 

Cest bien connu, les bibliothécaires ont la réputation (?) dêtre des personnes très structurées, réservées et vivant dans limaginaire plutôt que dans la réalité pure et dure. Vous voyez déjà la bibliothécaire coincée à chignon ou le bibliothécaire un peu rat de bibliothèque qui a réponse à tout, mais qui est incapable de clouer un clou. Ce qui demeure vrai dans ce mythe populaire, cest que les bibliothécaires sont effectivement des êtres très structurés et que le passage à lacte peut être parfois difficile pour eux, tant quils nont pas fait le tour de la question dans la documentation! Je dois lavouer cest mon cas : deux ans de lecture et danalyse avant de débuter la fabrication de mon kayak en 2002, dans le genre prudent on ne fait pas mieux! Je vous rassure, je ne suis pas aussi prudent partout et il marrive comme tout le monde dimproviser, mais rarement en ébénisterie, un art de précision où les raccourcis nexistent pas. 

Dans ma quête dinformation pour fabriquer un kayak de mer jai consulté plusieurs sites web et trois livres qui font maintenant partie de ma bibliothèque :

  • Nick Schade,  The Strip-Built Sea Kayak ; Three Rugged, Beautiful Boats You can Build, Camdem ME,  Ragged Mountain Press, 1997, 202 pages. ISBN 007057989-X

  • Ted Moores, Kayak Craft ; Fine Woodstrip Kayak Construction, Brooklin ME, Woodenboat, 1999,175 pages. ISBN 0937822566

  • David Hazen, The Stripper’s Guide to Canoe-building, Larkspur CA, Tamal Vista Publications, 1994, 93 pages. ISBN 0917436008


Malgré leur âge respectif ces trois livres demeurent encore aujourdhui « les références » en matière de fabrication de kayak et de canoë en bois latté. Mentionnons que les auteurs Nick Schade (Guillemot Kayaks) et Ted Moores (Bear Mountains boats) sont également à la tête de compagnies qui proposent à leur clientèle des plans et des kits de kayaks et de canoës. Les livres de ces deux auteurs sont également les plus pertinents pour toute personne qui souhaite se lancer dans la fabrication dun kayak en lattes de bois. Personnellement jai surtout utilisé le livre de Nick Schade car il propose trois modèles de kayak avec les coordonnées x/y pour tracer les profils de chaque section des kayaks, dont le Guillemot 17 pieds que jai réalisé. Le livre de David Hazen a ceci de particulier que lon y retrouve des patrons complets (pliés à lintérieur du livre en papier journal) pour découper les profils, les modèles proposés ne sont toutefois pas aussi intéressants que ceux de Schade et Moores et les illustrations ne sont pas toujours très réussies. Nick Schade, un ingénieur naval de formation, est de loin le maître incontesté du « design » de kayak, au point que certaines de ses « œuvres » sont exposées dans des musées. Son site internet regorge dinformation qui complète à merveille son livre, dont plusieurs vidéos. Cest en découvrant son Guillemot de 17 pieds que jai finalement décidé de passer à laction, ce kayak répondait à lensemble de ma vision dun beau kayak de bois!

L'auteur de ces lignes sur le Fleuve Saint-Laurent en face de Beaumont, par une journée presque sans vent, très rare sur le fleuve !



Depuis son lancement à la plage de Saint-Jean à l’île dOrléans, en juillet 2003, le « fou de l’île » a navigué dans le fleuve, dans la mer et sur plusieurs lacs et rivières, il a prouvé sa stabilité et sa manœuvrabilité dans différentes conditions de navigation. Dans la suite de ce blogue je vais vous raconter lhistoire de sa construction et des défis techniques que lon doit relever face à une telle entreprise. Il faut ladmettre il y a peu de documents en français sur la fabrication des kayaks et des canots en lattes de bois, jespère donc contribuer modestement à fournir une base à ceux qui comme moi voudront se lancer dans la fabrication de leur "fou de l’île".

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