mercredi 30 juillet 2014


(2e partie)

KAYAK DE MER
LE SECRET EST DANS LE MOULE !

La fabrication d’un kayak ou d’un canot en bois latté constitue une occasion rêvée pour utiliser plusieurs outils manuels. En effet même si plusieurs étapes de la fabrication peuvent mettre à profit des machines-outils et de petits outils électriques, il demeure parfaitement possible de réaliser entièrement un kayak de mer avec des outils manuels. Dans ce cas, il sera toutefois nécessaire de se procurer des lattes de bois préusinés chez un fournisseur spécialisé dans les matériaux et accessoires pour canots et kayaks. Au Canada, les compagnies Bear Mountain ( www.bearmountainboats.com ) et Noah (www.noahsmarine.com/) fournissent autant les plans, les patrons ainsi que tout le matériel et les outils nécessaires à la construction d’embarcations de bois. Certains matériaux, comme la fibre de verre et la résine d’époxy sont également disponibles dans les quincailleries marines (souvent situées près des marinas!).

La fabrication d’un kayak ou d’un canoë en bois latté constitue une aventure hautement artisanale où la patience, la minutie et le goût du travail bien fait sont les clés du succès. Si vous décidez de vous lancer dans cette aventure, le travail artisanal doit nécessairement vous motiver, du moins suffisamment pour y consacrer de six à douze mois par temps perdu, surtout pour un premier kayak. La fabrication d’un kayak ne représente pas un défi technique majeur, mais il commande une bonne dose de patience et de motivation pour ne pas abandonner l’œuvre en cours de chantier, d’autant plus que vous devrez investir entre 1 500 $ et 3 000 $ en matériaux divers, le bois ne représentant généralement moins de 25 % du coût global. En fait, on ne fabrique pas son propre kayak de bois pour économiser des sous, mais d’abord pour créer une œuvre personnalisée qu’il serait impossible de se procurer dans un commerce de plein air.  


Une oeuvre unique, impossible à se procurer dans un commerce de plein air !
 Le "Fou de l'ïle" fait le beau sur la rive du Saint-Laurent à Saint-Jean I.-O. 

Un kayak en bois latté est en fait un kayak en matériaux composites. Le bois, peu importe l’essence, n’aurait pas la résistance mécanique ni l’imperméabilité souhaitée pour composer seul la coque d’un kayak. Historiquement si le bois a longtemps été utilisé comme matériau principal dans la construction navale et encore aujourd’hui pour des coques de certaines chaloupes et voiliers, c’est surtout grâce à l’utilisation d’une charpente interne qui permet de border les coques avec des planches d’une bonne épaisseur ou avec du contreplaqué marin. Dans un kayak de mer comme pour un canot où l’on souhaite alléger au maximum le poids total de l’embarcation, on élimine le plus possible les membrures et autres éléments de charpente. Pour y parvenir, il sera donc nécessaire d’utiliser un matériau qui pourra agir à la fois comme bordage et comme charpente. La fibre de verre, la fibre de carbone et le polyéthylène offrent à des degrés divers les propriétés mécaniques nécessaires pour agir à la fois comme bordage et structure, du coup l’absence de membrure interne accroît l’espace utile à l’intérieur de l’embarcation. Ces matériaux ont permis au XXe siècle l’émergence de petites embarcations que l’on peut réaliser à moindre coût grâce à différentes techniques de moulage. Combinée à la fibre de verre le bois devient à la fois imperméable et très résistant tout en étant relativement léger. Ainsi, une latte de cèdre de 6 mm d’épaisseur recouverte sur ses deux faces de fibre de verre et de résine d’époxy aura une résistance mécanique supérieure à une latte de 15 mm d’épaisseur.

 Si les kayaks de polyéthylène sont moulés par injection sur des moules métalliques, la fabrication dun kayak de lattes de bois doit également sappuyer sur un moule au départ. Comme pour le kayak de polyéthylène le moule dun kayak en bois latté ne servira qu’à sa fabrication, mais contrairement au kayak de polyéthylène qui une fois démoulé est pratiquement terminé (il ne restera qu’à installer son gréement), celui de bois devra subir de nombreuses transformations avant que lon puisse mouiller sa quille! Mais revenons au moule lui-même. Pour faire image, rapidement disons que le moule dun kayak en bois latté a lallure de lun de ces casse-têtes 3D de dinosaures en contre-plaqué mince, le dinosaure étant constitué dun assemblage de profil qui saligne par le centre de la queue à la tête donnant au final limpression dun squelette. Pour le moule du kayak, cest la même chose, chaque profil correspond à la forme correspondante de la coque de pied en pied, de la poupe à la proue, pour un kayak de mer de 17 pieds on comptera donc 17 profils au total (voir illustration). Les profils sont ensuite enfilés par le centre (comme un collier!) sur une poutre centrale. Cest sur la tranche de chaque profil que lon viendra fixer temporairement les lattes de bois qui vont constituer le bordage du kayak.


Comme un casse-tête 3D de dinosaure, voici l'allure du moule de mon kayak de mer avant l'étape du lattage.


Les 17 profils du Fou de l'île - la ligne turquoise indique la ligne de flottaison et la ligne verte un peu plus haut délimite le pont et la coque du kayak. La poutre centrale (strongback en anglais) apparaît en gris. La ligne rouge au centre, au-dessus du pont, délimite l'emplacement du trou d'homme.

Dans le cas du Fou de l’île jai commencé par tracer le patron sur papier de chaque profil. Dans le livre de Nick Schade on retrouve sous forme de tableau les coordonnées x-y de chacun des 17 profils. Avec laide dun logiciel graphique (Corel Draw) jai donc dessiné chaque profil et je les ai imprimé sur une imprimante standard à jet dencre en utilisant la fonction impression en mosaïque, les plus grands profils simprimaient ainsi sur plusieurs pages au format lettre que je navais plus qu’à assembler avec laide de marques de registre... et un peu de ruban gommé! Jai ensuite collé chaque patron (avec de la colle en aérosol) sur une grande feuille de MDF de 1/2’’ d’épaisseur. Chaque profil a ensuite été découpé, dabord grossièrement avec une scie à découper portative et ensuite plus précisément avec une scie à ruban en laissant une distance de 1/8’’ entre le trait de coupe et la ligne de contour du patron, et ce afin de permettre laffinage des contours avec une sableuse fixe à disque rotatif et à la main avec un bloc de sablage. L’étape du découpage des profils est cruciale, car rappelons que ce sont les profils qui déterminent la forme du kayak. Javoue que de réaliser les patrons soi-même augmente considérablement les risques derreur et le temps de fabrication du kayak, il faut donc savoir quil est possible dacheter uniquement les patrons chez les fournisseurs que nous avons déjà identifiés au début de cet article.

Lassemblage des profils découpés sur la poutre central est également une étape sensible, car un mauvais enlignement des profils aura des conséquences désastreuses sur la performance et lallure générale du kayak. À ce chapitre je dois préciser quil y a deux approches différentes dans lassemblage des profils :

1.     Celle que préconise principalement Nick Schade consiste à enfiler, comme les perles dun collier, les profils autour dune poutre centrale (en fait un 2x4 bien droit ou une poutre composite de contreplaqué). Cette méthode offre lavantage de passer du lattage du pont à celui de la quille en retournant simplement lensemble du moule sur lui même. Son seul point faible cest le gauchissement possible de la poutre centrale. Lutilisation dun 2x4 de construction sortie fraîchement dune cour à bois présente un risque très élevé, car en séchant il pourra gauchir et entraîner un mauvais enlignement de tous les profils.... et comme le lattage est une opération assez longue, il aura le temps de sécher avant la fin de lopération. La solution est donc dutiliser une pièce de bois dont le taux dhumidité sera très faible au départ ou encore mieux de réaliser une poutre composite avec du contreplaqué de bonne qualité (voir lillustration plus bas). Personnellement jai pris le temps de faire sécher un 2x4 et je nai eu aucun problème.


Une poutre composite comme celle-ci est plus longue à fabriquer mais elle accroît considérablement la stabilité de l'ouvrage.


Un des profils fixé à la poutre centrale, notez les deux cales qui permettent de bien aligner chaque profil.


2.     Lautre option préconisée notamment par Ted Moores consiste également à réaliser une poutre, mais sur laquelle chevaucheront les profils. Cette méthode est beaucoup plus longue à réaliser, mais offre beaucoup plus de précision et de stabilité. Chaque profil est vissé sur un support qui est lui-même fixé après la poutre qui fait 10’’ de largeur. La poutre est très stable, car elle est construite à caisson, un peu comme une aile davion. Linconvénient avec cette méthode cest que lon doit dévisser les 17 profils une fois que la quille aura été lattée et lon doit les inverser et les fixer à nouveau sur leur support pour entreprendre le lattage du pont. Cette méthode est parfaite pour la réalisation dun canot en bois latté qui na pas de pont, mais pour un kayak elle est donc un peu plus exigeante.

Comme jai utilisé la méthode No 1, jai du construire un support pour tenir à une bonne hauteur de travail (36’’) la poutre centrale et ses 17 profiles. Nick Schade propose dans son livre un plan de support très simple (voir illustration plus bas), mais il permet aussi bien de supporter la poutre centrale que la coque du kayak elle-même une fois le lattage complété. Car il faut bien le dire, après l’étape du lattage il y a encore beaucoup de travail effectuer sur la coque et le support devient essentiel pour travailler confortablement. Ainsi, les supports possèdent deux encoches à leur sommet qui permettent de bien soutenir la poutre ou de retenir une bande de tissus ou de tapis pour supporter la coque en bois latté.



Un support très simple à réaliser avec quelques 2x4 et un morceau de contreplaqué.


La poutre centrale (on utilise le terme"strongback" en anglais) vient s'insérer dans les 2 entailles qui chapeautent les supports .



Une fois le lattage complété, le même support sur lequel était appuyé la poutre centrale peut recevoir une bande de tapis (ou de tissus épais) sur laquelle viendra s'appuyer la coque du kayak. 


Vous comprendrez que la réalisation du moule représente une bonne partie du temps nécessaire à la fabrication du kayak, le plus frustrant dans cette étape cest que tout ce travail sera destiné à la récupération après l’étape du lattage complété... à moins que vous décidiez de construire un autre kayak! Un moule peut effectivement être utilisé à quelques reprises si vous le traitez convenablement durant le l’étape du lattage. On verra plus tard que le lattage peut se faire sans brocher les lattes sur les profils ce qui réduit les risques de les abîmer. Il sera toutefois nécessaire de bien vérifier lenlignement des profils avant damorcer un nouveau lattage sur le même moule.

Dans le prochain article nous aborderons de l’étape de la planification du lattage et du choix des essences de bois, de la préparation des lattes et du lattage proprement dit.... à suivre donc!


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